Domaine des Baumard
En bref
Region: LoireLes chenins de la foi La famille Baumard demeure et cultive la vigne à Rochefort sur Loire depuis 1634. Cependant, c’est Jean qui amena le domaine et toute la région vers de nouveaux sommets. Il fut le premier vigneron à s’installer sur les deux rives de la Loire, et il s’imposa comme l’un des plus […]
Les chenins de la foi
La famille Baumard demeure et cultive la vigne à Rochefort sur Loire depuis 1634. Cependant, c’est Jean qui amena le domaine et toute la région vers de nouveaux sommets. Il fut le premier vigneron à s’installer sur les deux rives de la Loire, et il s’imposa comme l’un des plus grands techniciens du vin français.
Le père de Jean Baumard, Charles, était propriétaire de vignes et d’un café à Rochefort-sur-Loire. Il vendait donc aisément tout le vin qu’il produisait. Mais, il s’intéressait à son vignoble exclusivement en tant qu’artisan. Son fils, Jean, diplômé en oenologie des facultés de Bordeaux et de Dijon, se révéla non seulement un grand scientifique, mais également un homme d’affaires avisé. Il prit tôt la tête du domaine, au milieu des années 50. Parallèlement à son activité à la pépinière familiale, il prospecta les meilleurs terroirs pour y réaliser des acquisitions. Ainsi, entre 1957 et 1968, il acheta un peu plus de 5 hectares de Quarts de Chaume, ainsi que 14,5 hectares de vignes sur les prestigieux lieu-dits du Clos du Papillon et du Clos Saint-Yves, où il fit replanter les meilleurs greffons, qui donnent aujourd’hui naissance à des vins d’anthologie.
En avance sur son temps
Parallèlement à toutes ses activités, Jean Baumard fut également jusqu’en 1970 un professeur de viticulture et d’oenologie infiniment respecté à l’Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers. Puis, il fut porté par ses pairs à la présidence de la Fédération Viticole de l’Anjou (de 1971 à 1976), et fut l’initiateur de la résurrection en 1974 de l’Union des Syndicats des AOC du Val de Loire. En 1984, un ancêtre de la famille Baumard, qui fut compagnon des Martyrs d’Angers de la Révolution Française, fut béatifié. A cette occasion, Jean Baumard rencontra le Pape Jean-Paul II et lui remit les attributs de la Confrérie des Chevaliers du Sacavin d’Anjou : un petit tonneau servant au vigneron pour étancher sa soif.
Pourtant, en dépit de cet épisode religieux et symbolique, on doit affirmer que Jean Baumard n’a rien d’un mystique. Technicien avisé, auteur du livre le plus passionnant sur le Quarts de Chaume, si le personnage est fervent, c’est de rationalisme.
Dès 1955, il abandonna partiellement l’agriculture traditionnelle pour, de manière érudite et raisonnée, employer des produits de synthèse biodégradables pour le traitement des parasites s’attaquant à ses ceps. Puis, il mit ses chevaux au repos en faveur d’engins mécaniques, plus rapides mais aussi plus lourds. Aussi, pour entretenir convenablement ses sols, tassés par les tracteurs, il contribua à inventer une nouvelle grammaire pour la culture de la vigne. Il planta selon le procédé dit de vignes hautes et larges (VHL), en alternant le travail du sol et d’enherbement (un rang sur deux), qui préserve la faune microbiologique et son potentiel d’humus, et empêche le tassement sclérotique pouvant résulter du passage régulier des engins massifs. D’autre part, le grand écartement des vignes (3 mètres entre les rangées, 80 cm entre chaque pied, palissage à deux mètres de hauteur pour l’obtention d’une grande surface foliaire exposée au soleil, suppression du rognage pendant la période végétative) est propice à la motorisation, et autorise l’emploi de matériel agricole ordinaire à roues, plutôt que de l’encombrant, onéreux et polluant matériel à chenilles.
Seul contre tous
Le fils de Jean, Florent, a logiquement hérité de l’amour de la vérité et du terroir que possède son géniteur, ainsi que du domaine qu’il dirige depuis 1990.
Diplômé en lettres, il obtint également le brevet de technicien supérieur en viticulture et oenologie. Bien que son approche du vin soit éminemment sensitive, c’est bien sous sa direction que furent réalisées les innovations les plus importantes de l’histoire du domaine des Baumard.
Bien sûr, il a continué de préconiser une agriculture « raisonnable », des vendanges manuelles effectuées par tris successifs afin de sélectionner les raisins les plus mûrs, ces derniers étant transportés en cagettes de faible profondeur, pour éviter tout écrasement. Dans les chais, il a imposé des pressurages pneumatiques fractionnés et une température de fermentation contrôlée. Il a limité les élevages sous bois, tout comme le contact des jus avec l’oxygène, de manière à prévenir toute oxydation et à conserver intactes les caractéristiques primaires des fruits.
A partir de 2003, Florent Baumard abandonna progressivement le liège en faveur de capsules à vis, son objectif étant de mettre fin aux déviations aromatiques engendrées par des bouchons malades, d’assurer une étanchéité parfaite prévenant l’oxydation prématurée, d’en finir avec les bouteilles dites « couleuses », de supprimer les interactions entre le vin et les tannins du bouchon, de conserver les arômes et la fraîcheur originels des nectars. Pour prendre sa décision, il s’appuya sur des découvertes récentes en matière de vieillissement, qui démontrent que le contact avec l’oxygène n’est pas, contrairement à une idée reçue, le phénomène essentiel de l’évolution d’un vin. La réaction du Landerneau vinicole au choix de Florent Baumard fut cependant extrêmement violente. Pourtant, force est de constater qu’à la dégustation de millésimes désormais « anciens » de ses vins, le bouchage à vis semble bien éliminer tous les défauts précités, tout en conservant la précision et l’élégance des nectars, sans qu’aucun défaut nouveau soit à déplorer (voir notre grande dégustation verticale).
Pour ses détracteurs, l’autre pêché de Florent Baumard, est de continuer à utiliser la cryo-sélection.
Cette technique consiste à sélectionner par le froid les baies les plus concentrées, les moins mûres gelant en premier, leur jus moins riche n’étant alors pas extrait lors du pressurage… Ce procédé, qu’il faut assimiler à un tri supplémentaire d’une sévérité et d’une efficacité redoutables, est à tort assimilé à une extraction, dont le but serait d’artificiellement augmenter la concentration des jus. Or, ce n’est pas le cas. En revanche, Florent Baumard reconnaît que cette opération a comme vertu de « purifier » les baies les plus mûres, et donc de considérablement réduire les besoins en enzymes et en filtration.
Le plaisir de l’exercice critique et l’amour de la biodynamie que nous défendons avec passion dans nos magazines et dans nos guides depuis 5 ans, ne doit pas empêcher de reconnaître deux faits ! L’interdiction unilatérale d’une technologie nouvelle (que préconise certains concurrents et le nouveau décret d’appellation) dont les vertus semblent avérées sans qu’aucun vice relatif à son emploi ne soit révélé, paraît particulièrement stupide, réactionnaire et autoritaire ; surtout si l’on compare cette décision à celle consistant à ne pas proscrire l’usage intensif de certains pesticides et autres produits de synthèse, en dépit de leur exceptionnelle nocivité.
D’autre part, en tant que dégustateur, on doit constater que le Quarts de Chaume du domaine des Baumard répond évidemment à tous les critères de l’AOC, et qu’il s’inscrit chaque année parmi les plus grandes réussites de son appellation et de France, notamment lors des millésimes réputés difficiles.
Si les mérites de l’agriculture “bio” sont importants, ceux de la science sont égaux en nombre et en valeur. Il est donc absurde de diaboliser l’un ou l’autre. Aucune convention “naturaliste” n’interdit l’emploi de cuves thermorégulées ou des tables de tri. S’il se révèle que la cryo-sélection est un processus de tri supérieur à tous les autres, il serait idiot de s’en priver uniquement en raison de la croyance en une nature divinisée, omnisciente et bienfaisante, qui n’aurait pas besoin de l’action de l’homme et du progrès pour s’embellir et se préserver.
Que l’on soit, ou pas, d’accord avec les partis pris de Florent Baumard, on doit constater que, plus qu’un scientifique du vin, il est un philosophe, amoureux du savoir plus que du croire. On doit aussi affirmer qu’il est progressiste plus que réactionnaire, et même parfois un peu trop téméraire. Enfin, si ces arguments ne suffisent pas à faire aimer l’homme, pourtant particulièrement aimable, ils ne doivent en aucun cas détourner de ses vins, les notes de dégustations qui suivent, apportant au lecteur attentif la preuve de leurs exceptionnelles qualités. Or, c’est bien là l’essentiel, car en matière d’œnologie, tout (ou presque) est dit quand le vin a parlé.
Bertrand ROUGIER